jeudi 2 mai 2013
Prison d'Ittre avril 2013
Le Soir Jeudi 2mai 2013 LA CULTURE
ON AURA TOUJOURS RAISON DE L’OUVRIR
Surpopulation, insalubrité, insécurité: on pourrait se dire que les prisons ont d’autres chats à fouetter que l’encadrement de projets artistiques ouvrant une parenthèse à des criminels. Il faut avoir vu la religieuse écoute des détenus devant un solo théâtral. Il faut avoir entendu les pudiques mais troublantes confessions de ces prisonniers, libérées par un comédien qui a su se mettre à nu devant eux, pour comprendre que le théâtre, entre autres échappées, ne peut qu’apaiser, un peu, la dure réalité des prisons. Que c’est une goutte d’eau, certes, mais une goutte qui, pour certains, a la saveur d’une larme dans le désert.
Nous assistions, samedi dernier, à la représentation de Voilà de Stephen Shank à la prison de Ittre. Une des plus récentes prisons de Belgique, l’une des moins inhumaines aussi. Les détenus peuvent y travailler pour cantiner, se former pour préparer leur réinsertion professionnelle. Y pénétrer n’en est pas moins perturbant: se voir confisquer son passeport, se défaire de toutes ses affaires avant que ne se referment derrière nous les lourdes portes d’acier, traverser de longs couloirs aseptisés au son des cris incessants émanant des cellules. «N’oubliez pas de laisser vos clefs de voiture dans le casier, nous prévient une gardienne. Au cas où vous seriez pris en otage, ça faciliterait leur fuite.» Voilà qui n’est pas vrai- ment engageant, à quelques minutes de rencontrer le groupe de détenus conviés au solo de Stephen Shank.
Escortés par trois gardiens, les hommes pénètrent dans la salle de sport. On comprend qu’ici, on
ne fera pas le noir complet dans la salle pour l’entrée du comédien. Malgré tout, la concentration est d’une densité incroyable quand Stephen Shank se lance dans son monologue, portrait d’un homme dans sa relation ambiguë avec l’alcool. On entend presque ricocher, dans ces âmes absorbées, ces mots qui abordent le manque de guidance paternelle, la peur, l’addiction, la déchéance.
«Vivre avec la peur, ce n’est pas vivre ça», lance le comédien.
Ou encore: «Je serai peut-être libre un jour.»
Des phrases qui résonnent autrement ici. Plus encore que cette heure de recueillement troublant, le groupe de parole qui suit la pièce donne tout son sens au projet. Dès les premières minutes de la discussion, on comprend que le drame du personnage de Shank, c’est aussi le leur. Que si certains sont
là, ce n’est pas étranger à l’alcool. «J’ai failli sortir au début, dit celui-ci. Par dégoût de moi- même. Le miroir était trop fort!» Celui-là avoue qu’il fréquente les Alcooliques anonymes en prison. Cet autre explique que lui a préféré arrêter: «Il n’y a pas la même confidentialité ici. Il y a la crainte que ce que tu dis se propage ensuite.»
La directrice adjointe de la prison de Namur, venue observer l’expérience de Voilà, nous confirme toute la pertinence d’une telle pièce en prison: «On sait qu’environ 75% des personnes en prison y sont pour des problèmes liés à une addiction. Dans le groupe de parole, le débat galope, ardent. Sans être didactique, la pièce soulève des tas de questions: «Je ne voulais pas d’une pièce qui culpabilise, affirme le comédien. On l’a jouée dans des théâtres, des lycées, des écoles d’infirmières. Je voulais parler avant tout de vulnérabilité et de déni, des choses qui nous touchent tous, qu’on soit d’un côté ou de l’autre des barreaux.»■
CATHERINE MAKEREEL
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