jeudi 7 février 2013
mercredi 6 février 2013
Stephen Shank à la Vénerie
Voilà de
et avec Stephen
Shank
La perspective de Anne-Michèle Hamesse Janvier 2013, pour la Revue générale.
On
le connaît ce Jacques, on le connaît si bien, c’est un frère ou celui que nous
avons épousé, ou un ami, parfois nous-même, enfin quelqu’un qui nous est
proche, et le voilà qui se livre sur scène, le temps d’un déshabillage
intégral, corps et âme, à nous, le public, sidéré, interdit par tant de
déballage impudique parce que trop sincère, et on reste là abasourdi par tant
de vérités dites, par cette dépendance à l’alcool, enfin avouée, dite, décrite,
plaisantée, minimisée, décortiquée, parfois niée et souvent omniprésente dans
nos vies.
Stephen
Shank prend des risques, le risque d’aller jusqu’au bout des non-dits, des secrets, des inavouables
penchants, des questions sans réponse.
Son
personnage interrompt le rituel de boire le temps d’une confession, prend le
public à témoin, on sent que le rituel interrompu va reprendre sitôt après ce
moment de grâce où Jacques consent à se livrer, mais que cela ne durera pas et
que la dégringolade va se poursuivre, inexorablement, que la solitude, compagne
inévitable de l’alcoolique reprendra ses droits.
Parfois
il se ment à lui même puis se débusque, pris en faute comme un gamin et
personne n’est dupe et surtout pas lui.
Ce
Jacques fragile met à nu, son enfance, ses failles, ses détours.
Jacques
vous ressemble, nous ressemble, ressemble à tous ceux que le comédien a
approché dans sa recherche de témoignages sur cette vulnérabilité à l’alcool,
et c’est avec une dose de courage énorme , mais les vrais comédiens n’en
manquent jamais, qu’il exhibe avec grâce ce dont nous sommes le moins fiers.
Quand
il opte pour le silence, la salle suffoquée lui répond en un autre silence,
lourd, chargé d’émotion et on assiste là à un échange magique comme rarement le
théâtre nous en offre.
Le
silence d’une émotion partagée.
Shank
nous emporte dans l’au-delà des mots.
La
performance d’acteur se veut ici aventure humaine, c’est là que le dit au
théâtre prend tout son prix, quand il quitte les planches pour rejoindre
l’humanité, pour la toucher, pour nous toucher.
Souvent
les paroles sont les portables de la douleur, ici elles se font supports de
misère, de cette dépendance, qui en est le fil conducteur, fil sur lequel le
funambule Shank évolue avec grâce et talent, devenant ce Jacques, pris dans les
filets de l’alcool il joue dans cette trame, englué comme une mouche ivre dans
la toile d’une araignée qui le guette.
Et
c’est nous tous qui nous sentons guettés, suspendus par un silence plus fort
que des mots, portés par ce monologue dansé.
Car
c’est aussi d’une chorégraphie qu’il s’agit, il y a des moments quasi
religieux, celui ou le comédien se lave comme à la recherche d’une pureté
disparue, enrobé par le chant d’un contre ténor, moment magique, quasi
mystique, qui fait référence à la danse, celle d’une Pina Bauch qui insufflait
des sentiments dans les corps mouvants de ses danseurs.
Référence
picturale aussi, on songe à la beauté des corps de la peinture italienne, la
salle entière est sous le charme et personne ne souffle mot.
Ecoutez
Stephen Shank regardez sa danse,
son spectacle, son dévoilement, ce témoignage humain décliné en un chant de
misère est infiniment beau et poignant et condense à lui seul tout ce que le
théâtre peut nous confier.
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